Sociologue, auteure et dramaturge, Sonia Sarah Lipsyc est également chercheuse associée à l’Institut d’études juives de l’Université Concordia. Le Verbe lui a demandé de puiser dans les trésors de son héritage juif pour éclairer notre monde contemporain. Pour cette première collaboration, elle nous révèle le sens du Nouvel An hébraïque qui est célébré ces jours-ci.
Selon la tradition juive, les livres de nos vies sont ouverts devant le Saint (béni soit-Il) lors des deux jours de la fête du Nouvel An hébraïque appelée Rosh Hashana. Cette année, elle sera du 18 septembre au soir jusqu’au 20 à la tombée à la nuit.
Mais n’imaginez pas qu’il s’agisse uniquement de deux jours de tremblement face au jugement divin ou, à l’inverse, de bombances ou de partys, même si quatre repas en famille ou avec des amis (présentement avec la distanciation comme invitée permanente) ponctuent ces deux journées. Ce sera plutôt une convocation d’automne à mi-chemin entre l’introspection et le partage.
Ouvrir l’âme
À l’occasion de cette fête, nous repassons mentalement en revue, et au cours de prières, nos actes, nos engagements, nos manquements ou réussites de l’année écoulée, inscrits sur les pages de ce livre dont nous sommes l’auteur et finalement le premier juge.
Il s’y trouve des ratures, des espérances, des illusions, des envolées, bref tout ce qui fait un humain.
Et si nos parts d’ombres nous attristent, nos brèches nous fissurent, pourquoi ne pas penser à ce vers chanté par Léonard Cohen (dont le nom de famille signifie « prêtre » en hébreu) : « There is a crack in everything. That’s how the light gets in » (« Il y a une faille dans toute chose, c’est par là qu’entre la lumière », dans la chanson Anthem).
Et nous prions pour que nos mérites ajoutés à la mansuétude divine fassent peser la balance du bon côté pour l’année à venir.
Dans ce compte de l’âme, à livre ouvert, dans l’intimité de soi, il ne faudrait pas hésiter à faire feu de tout bois… Du recueillement, voire de la contrition à la négociation.
Et en la matière, nous disposons d’un maitre et non des moindres : « Ce ne sont pas les morts qui te loueront Seigneur », clamait déjà dans les Psaumes (115, 17) le roi David qui, face aux adversités auxquelles il était confronté, voulait rester en vie.
Oui, accorde-nous encore du temps et en bonne santé pour tenter de faire mieux, peut-on hurler ou susurrer au Seigneur.
Prier pour toute l’humanité
Me revient une histoire hassidique… Au cours de la fête se rend dans une synagogue un homme simple, rustre peut-être, et qui ne sait pas lire l’hébreu. Alors, il siffle, de tout son cœur. Et l’entourage excédé de lui demander de se taire. « Laissez-le siffler », s’exclame le rabbin, « vos prières ne dépassent pas le toit de cet édifice alors que la sienne transperce les voutes du ciel ».
Ces deux journées, passées en partie à la synagogue (avec un temps réduit en temps de pandémie), où l’on écoute le son du chofar, cette corne de bélier dont le son vient nous chercher jusqu’au plus profond de nous-mêmes, sont déterminantes dans la conscience juive pour le futur qui nous attend.
Toutefois, les Juifs ne prient pas seulement pour eux à titre individuel ou communautaire, mais aussi explicitement pour le bienêtre de la cité, de la région, de la province, du pays qu’ils habitent et pour le reste de l’humanité. Dans chaque synagogue du Québec, il y a un temps pour cette prière qu’on dédie au monde qui nous entoure.
Les portes grandes ouvertes
Dix jours plus tard, c’est la fête du Yom Kippour, dite du grand pardon ; l’on jeûne de la veille jusqu’au lendemain soir (cette année du 27 au 28 septembre). Nombre de personnes la considèrent comme le rendez-vous le plus important du judaïsme. À telle enseigne que certains ne jeunent et ne vont à la synagogue que ce jour-là, même si le reste de l’année, ils ne pratiquent rien des rites de la tradition. On les appelle les Juifs de Kippour et ils font partie intégrante du reste de la communauté.
C’est une journée de repli sur soi, de recueillement, mais durant lesquelles, dit-on, les portes du ciel sont grandes ouvertes. Alors il faut en profiter. S’y engouffrer.
La responsabilité des êtres humains
Cependant, point besoin de s’évertuer à demander pardon à Dieu (ou à l’univers si vous vous sentez plus à l’aise avec ce terme) si on ne fait déjà pas un pas à l’égard de celle ou de celui que l’on a pu, volontairement ou non, froisser ou blesser dans notre entourage, proche ou lointain.
Il est de notre responsabilité de réparer. Par la parole et les actes. Le premier pas en est déjà un.
Je souhaite que cette année soit plus douce que celle que nous avons passée, et que le génie humain soit bien inspiré pour trouver vite et bien, traitements et vaccins. Et qu’en même temps grandisse en nous cette conscience pour préserver notre planète et en faire une meilleure et belle résidence pour chacun.
Je vous l’écris en vous tendant un quartier de pomme trempé dans le miel comme nous avons l’habitude de le faire en souhaitant « chana tova oumetouka » (littéralement année bonne et douce).
Et en quelle année serons-nous, me demanderez-vous peut-être ?
En 5781 ! Mais ça, c’est une autre histoire…