L’art sacré, au Québec comme ailleurs en Occident, s’attache à représenter principalement des scènes de la vie de Jésus et de Marie : mystères du rosaire, passages de l’Évangile, Passion du Christ. Mais qu’en est-il de l’Esprit saint? Celui « qui est Seigneur et qui donne la vie », souffle insaisissable qui agit comme moteur de ces événements ? Les artistes ont souvent choisi d’illustrer cette insaisissable personne de la Trinité par des symboles décrits dans la Bible, tels que la colombe ou des langues de feu. Ces éléments discrets, bien qu’ils soient rarement le sujet central de l’œuvre, en révèlent le sens et la portée spirituelle. Certaines images évoquent plutôt les effets sur l’âme humaine des dons de l’Esprit. Considérons sous cet éclairage quelques morceaux choisis de notre patrimoine artistique, du 19e siècle à aujourd’hui.
La Pentecôte
En 1817 et 1820, l’arrivée à Québec d’environ 200 tableaux de maitres européens des 17e et 18e siècles constitue un événement marquant. Saisies dans les églises parisiennes lors de la Révolution française, ces œuvres sont rapatriées ici par les abbés Philippe-Jean-Louis et Louis-Joseph Desjardins. Les rares artistes locaux de l’époque ne disposent que de peu de ressources pour se former. Ils sont alors sollicités pour restaurer et copier ces tableaux : c’est la naissance de la peinture canadienne, et de notre première école d’art.
Le curé de Varennes a mandaté Jean-Baptiste Roy-Audy, peintre autodidacte, pour reproduire cette Pentecôte, d’après l’originale de Philippe de Champaigne. La scène tirée des Actes des Apôtres illustre la descente de l’Esprit saint sur la Vierge Marie, les apôtres et les disciples de Jésus, sous la forme de langues de feu au-dessus de leur tête. À la différence du tableau français, l’œuvre de Roy-Audy montre la Vierge les yeux levés vers la colombe, d’où émane cette pluie d’étincelles. C’est ce feu, embrasant leur cœur, qui donne l’ardeur nécessaire aux disciples pour réaliser leur mission et proclamer la Bonne Nouvelle. Premier tableau connu de Roy-Audy, La Pentecôte est aussi considéré comme l’un de ses meilleurs.
Jean-Baptiste Roy-Audy, La Pentecôte ou Descente du Saint-Esprit sur les apôtres, 1818. Huile sur toile, 328 x 241 cm | Fabrique Saint-Anne, Varennes | Photo : MNBAQ, Idra Labrie
Chaire de l’église Saint-Charles-Borromée
Située au cœur du quartier historique de Charlesbourg, l’église Saint-Charles-Borromée est exceptionnelle par l’harmonie de son architecture extérieure et intérieure. L’ensemble est conçu par Thomas Baillairgé, membre d’une famille de créateurs renommés dont l’atelier a produit nombre de plans d’églises, de sculptures et de mobiliers liturgiques.
La chaire de l’église de Charlesbourg reproduit un modèle souvent utilisé par Baillairgé pour ce type de meuble. Exécutée par son élève André Paquet, elle présente sur la cuve un bas-relief montrant Moïse et les Tables de la Loi, tandis que le dorsal est orné de la colombe de l’Esprit saint dans une gloire. Les deux images ont une haute valeur symbolique pour ce lieu où le pasteur dispense ses enseignements. Il ne s’agit plus de graver la loi sur la pierre, mais de la faire descendre en notre cœur : « ainsi, nous pouvons servir d’une façon nouvelle, celle de l’Esprit, et non plus à la façon ancienne, celle de la lettre de la Loi » (Rm 7,6).
Chaire de l’église Saint-Charles-Borromée, Charlesbourg | Réalisée par André Paquet selon les plans de Thomas Baillairgé | Bois peint et doré, 1842 | Photo : Émilie Deschênes
La Méditation
Napoléon Bourassa est sans doute le plus grand artiste canadien-français de sa génération; grand par son talent, mais aussi par l’étendue des domaines où s’est déployée son activité. Architecte, peintre, conférencier, critique d’art et même romancier, le créateur a aussi contribué à former de jeunes artistes en les engageant comme apprentis sur de grands chantiers. Vers la fin de sa vie, Bourassa reprend ses pinceaux pour exécuter une série de tableaux à l’huile, après avoir délaissé cette technique durant un certain temps.
Cette Méditation fait partie de l’ensemble. Elle représente un père dominicain âgé devant un livre ouvert, le regard perdu dans le lointain. L’artiste, ayant travaillé quelques années auprès des dominicains de Saint-Hyacinthe, a pu les observer à loisir et peut-être même s’imprégner de leur spiritualité, enracinée dans l’étude et la méditation de la Parole de Dieu. Or, pour étudier et méditer, il faut invoquer l’Esprit saint, pourvoyeur de sagesse et d’intelligence, qui vient au secours des faiblesses de l’esprit humain en éclairant de sa lumière l’objet de nos réflexions. Au-delà de l’habileté du portraitiste, cette œuvre impressionne par le rendu presque palpable de cette action spirituelle qui se déroule sous nos yeux.
Napoléon Bourassa, La Méditation, 1896-1897 Huile sur toile, 74,8 x 62 cm | Collection du Musée national des beaux-arts du Québec. Don de la succession Bourassa en 1941 (1943.55.204) | Photo : MNBAQ, Jean-Guy Kérouac
La Gloire Divine
Maitre incontesté de la peinture religieuse québécoise, Ozias Leduc en a profondément renouvelé le langage. Dépassant les stéréotypes italianisants qui perduraient dans ce domaine, l’artiste a atteint une force expressive inédite en puisant de l’inspiration dans différents courants modernes européens.
Parmi la trentaine de décors peints d’église qu’il a réalisés dans sa carrière, celui de l’église Notre-Dame-de-la-Présentation, à Shawinigan, est son ultime chef-d’œuvre. Il y a travaillé pendant 13 ans et est décédé quelques mois avant la fin des travaux, en 1955. La Gloire Divine, qui couvre toute la surface du chœur, est la plus vaste peinture murale de Leduc. Les trois personnes de la Trinité, partageant la même gloire, y sont chacune entourées d’anges adorateurs. La colombe, nimbée de rayons cruciformes, matérialise l’esprit d’amour unissant le Père au Fils. Elle occupe le centre de la composition et se trouve aussi dans l’axe du regard du Christ, tourné vers les cieux.
Ozias Leduc, La Gloire divine, huile sur toile marouflée, 1944-1947 | Église Notre-Dame-de-la-Présentation, Shawinigan | Photo : Agathe Chiasson-Leblanc
La Visitation
Originaire de France, Anne-Marie Forest a été formée aux Beaux-Arts de Lyon et de Paris avant d’obtenir une bourse qui l’a amenée à Montréal en 1982. C’est au Québec, où elle vit depuis, qu’elle retrouve la foi et fait de l’art sacré son champ de prédilection. Membre fondatrice du Réseau d’art chrétien et d’éducation de la foi (RACEF), Anne-Marie se consacre à l’évangélisation par les arts, notamment par son travail d’agente de pastorale.
Ce dessin fait partie d’un ensemble d’une trentaine d’œuvres inspirées de l’enfance de Jésus et de Jean Baptiste. Pour créer ces images, l’artiste met en pratique les « Exercices dans la vie courante » dans l’esprit de saint Ignace de Loyola, et tente de visualiser les scènes de l’Évangile à l’aide des sens et de détails concrets. Dans La Visitation, elle illustre ainsi une jeune Marie toute joyeuse, s’élançant gracieusement vers sa cousine d’âge mûr qui l’accueille les bras ouverts. La colombe de l’Esprit saint, qui vole entre deux ventres laissant voir les enfants à naitre, rappelle que Jean Baptiste fut prophète dès le sein maternel, car il tressaillit en entendant la voix de la mère du Sauveur (Luc 1,41-44).
Anne-Marie Forest, La Visitation, dessin à la pierre noire, vers 2005