arcade fire
Photo: Krists Luhaer/Wikicommons

Arcade Fire: exorciser l’angoisse par la communion

Il y a un véritable réconfort à écouter un groupe qui partage notre sensibilité à la dimension spirituelle de la crise qui caractérise notre époque. 

WE est le tout dernier album lancé par le groupe montréalais Arcade Fire en mai dernier. Un album nouveau, sans être un album neuf. Et c’est justement ce qui le distingue du reste de l’œuvre. Dans WE, la formation musicale ne semble pas chercher à se réinventer, à innover comme dans les albums précédents. 

Mais ceci n’est pas une critique musicale. 

Je suis davantage captivé par la poésie d’Arcade Fire que par sa musique. En fait, «poésie» n’est pas approprié. Ce qui distingue le groupe, c’est sa capacité quasi prophétique à saisir le Zeitgeist de notre époque. 

Couverture de l’album We.

Peut-être parce que j’ai appris à lire avec la Bible, je ne peux pas m’empêcher de constater les riches correspondances entre elle et l’approche artistique du groupe montréalais. En ce sens, WE serait le nouveau «livre» ajouté au «canon» de l’œuvre du groupe-prophète.

Intertextualité discographique

Il y a, en théologie biblique, ce qu’on appelle «l’intertextualité»: le fait que les différents livres de la Bible font continuellement référence les uns aux autres, à travers l’usage d’images communes, l’allusion et la citation d’autres textes. Le livre devient un riche filet d’hyperliens (illustré ci-dessous). Le groupe qui nous a donné Neon Bible semble bien faire la même chose. Chaque piste produite étant liée par ses thèmes, ses allusions et son imaginaire avec des albums précédents. 

Visuel qui illustre les liens d’intertextualité dans la Bible

Par exemple, la piste Rabbit Hole fait référence au passage qu’emprunte Alice pour entrer au Pays des Merveilles. Toutefois, cette image d’un voyage sous-terrain, passage quasi initiatique qui transforme la personne qui l’emprunte, réapparait continuellement dans les «écritures» d’Arcade Fire, toujours évoquée par une allusion à la littérature classique. 

Dans la piste End of Empire IV (Sagittarius A), on peut entendre «Virgil says let’s take a ride», qui fait cette fois référence à l’Inferno de Dante, tandis que l’album Reflektor était en entier une remise en scène du mythe d’Orphée. Un voyage aux enfers… pas dans la souffrance, mais comme observateur d’un mystère. 

On retrouve ainsi d’autres images familières, les mêmes lieux de pensée, comme ce labyrinthe qu’on trouve dans Age of Anxiety (référence indirecte au penseur de l’Angoisse, Soren Kierkegaard) «It’s a maze of mirrors, it’s a hologram of a ghost». Il s’agit en fait du même lieu évoqué deux albums plus tôt « I thought I found a way to enter, it’s just a reflektor». 

Le langage biblique, apocalyptique, auquel Arcade Fire nous a habitués est toujours bien présent. Après avoir chanté l’Antichrist Television Blues dans Funeralavoir dessiné la grande vague noire qui allait nous avaler (There’s a big black wave in the middle of the sea, for me, for you), End of Empire IV (Sagittarius A*) pointe vers un trou noir détecté au cœur de la voie lactée.

Prophétisme musical

Pour reprendre l’illustration biblique, WE est au corpus d’Arcade Fire ce que l’Apocalypse est à la Bible : la formation se pose comme un voyageur anxieux qui cherche un guide face aux visions infernales d’un monde enflammé.

Le groupe est comme un prophète qui parle à une ère angoissée, mélancolique, endeuillée qui, comme l’Apocalypse de Jean, oscille entre images d’espoir et de gloire céleste et l’affirmation de notre destruction inévitable. L’album se pose ainsi dans la même lignée que plusieurs œuvres de notre époque, dont Melancholia de Lars Von Trier. 

Dans End of Empire III, par exemple, le «prophète» se console devant la désolation de notre monde qui est, au final, pas si mal 1.

C’est le regard prophétique qui mêle anticipation2et résignation devant un monde qui semble froid et distant : «Heaven is so cold. I don’t wanna go. Father in heaven’s sleeping. Somebody delete me (Age of Anxiety II)».

C’est dans WE (nous) qu’Arcade Fire trouve son salut, mais un «nous» renouvelé.

Car pour exorciser l’angoisse, il faut reconnaitre que notre époque a remplacé la communion par la connexion. Un rapport avec l’autre qui passe par un médiateur électronique qui ne permet aucune véritable communion, mais qui nous replie sur nous-mêmes. C’est l’avertissement de la première piste, Age of Anxiety 1, alternant : «It’s all about you/It’s not about you.»

Le dégout de cet état nous pousse à nous déconnecter, pour nous retrouver (I unsubscribe).

Communion et angoisse

C’est ce thème, amorcé franchement dans leur album The Suburbs, qui est le mieux développé dans WE. Car ce que semble proposer Arcade Fire comme piste pour «exorciser l’angoisse», c’est de se retrouver. Un message qui trouvera certainement oreille attentive, après l’isolement sanitaire qu’on a subi ces derniers mois. 

On retrouve là un message encore très existentialiste, très kierkegaardien: pour quitter l’ère de l’angoisse, il faut retrouver l’authenticité. Une authenticité qu’on retrouve dans le rapport avec l’autre3.

Pas son reflet, ni son image, mais son regard. Cette proposition se retrouve aussi sur l’album, couvert d’un iris multicolore. 

L’album se termine donc sur ce thème du besoin d’être ensemble. Unconditional I, hymne à l’acceptation de soi, et Unconditional II (Race and Religion) qui demandent ce qu’il en serait si nous étions unis aussi forts que les liens qui, dans l’imaginaire contemporain, nous divisent? 

La dernière piste, WE, décrit poétiquement cette frustration du repli: «Already know « I » / I wanna know « We » ».

L’album se termine en se posant la question:

When everything ends, can we do it again?

Whеn everything ends, wanna do it again?

Question qu’on peut aussi se poser à leur sujet, face à cet album qui était le dernier de deux des membres fondateurs ayant récemment quitté le groupe. Ça serait vraiment apocalyptique.

Jean-Christophe Jasmin

Diplômé en sciences politique et en théologie, Jean-Christophe essaie tant bien que mal de conjuguer la vie de contemplation et de production. Il est engagé dans le milieu évangélique, aime montrer comment la foi chrétienne apporte un regard unique sur le monde et adore échanger avec des gens de perspectives singulières. Passionné de Proust et Kierkegaard, il anime le podcast Sagesse & Mojito sur ImagoDei.fr